AU FIL DES JOURS...

Le pape François

Edition du

04/02/2023

4ème jour : rencontres au Sud-Soudan

RENCONTRE AVEC LES ÉVÊQUES, LES PRÊTRES, LES DIACRES, LES PERSONNES CONSACRÉES, ET LES SÉMINARISTES

Cathédrale de Sainte-Thérèse (Djouba)

Chers frères Évêques, prêtres et diacres,
chers consacrés, chers séminaristes, chers novices et aspirants, bonjour à tous !

Depuis longtemps, je nourri le désir de vous rencontrer ; c’est pourquoi je voudrais remercier le Seigneur aujourd’hui. J’exprime ma gratitude à Mgr Tombe Trille pour ses salutations et à vous tous pour vos salutations et votre présence ; certains d’entre vous ont fait des jours de voyage pour être ici aujourd’hui ! Je porte toujours gravés dans mon cœur des moments vécus avant cette visite : la célébration à Saint-Pierre en 2017, au cours de laquelle nous avons élevé une supplique à Dieu pour le don de la paix ; et la retraite spirituelle en 2019 avec les Leaders politiques, invités pour que, par la prière, ils prennent à cœur la ferme décision de poursuivre la réconciliation et la fraternité dans le pays. Nous avons besoin avant tout de cela: accueillir Jésus, notre paix et notre espérance.

Dans mon discours d’hier, je me suis inspiré du cours des eaux du Nil qui traverse votre pays comme s’il était sa colonne vertébrale. Dans la Bible, à l’eau sont souvent associées l’action du Dieu créateur, la compassion avec laquelle il étanche notre soif lorsque nous errons dans le désert, la miséricorde avec laquelle il nous purifie lorsque nous tombons dans les marécages du péché. Dans le baptême, Il nous a sanctifiés avec une eau qui nous « a fait renaître et nous a renouvelés dans l’Esprit Saint » (Tt 3, 5). C’est précisément dans une perspective biblique que je voudrais regarder à nouveau les eaux du Nil. D’une part, dans le lit de ce cours d’eau, les larmes d’un peuple plongé dans la souffrance et la douleur, martyrisé par la violence se déversent ; un peuple qui peut prier comme le psalmiste : « Au bord des fleuves de Babylone nous étions assis et nous pleurions » (Ps 137, 1). Les eaux du grand fleuve, en effet, recueillent les gémissements de souffrance de vos communautés, recueillent le cri de douleur de tant de vies brisées, recueillent le drame d’un peuple en fuite, l’affliction du cœur des femmes et la peur gravée dans les yeux des enfants. On peut voir la peur dans les yeux des enfants. Mais en même temps, les eaux du grand fleuve nous ramènent à l’histoire de Moïse et, par conséquent, elles sont un signe de délivrance et de salut : des eaux, en effet, Moïse a été sauvé et, en conduisant les siens à travers la Mer Rouge, il est devenu un instrument de libération, une icône du secours de Dieu qui voit l’affliction de ses enfants, entend leur cri et descend pour les libérer (cf. Ex 3, 7). En regardant l’histoire de Moïse qui a conduit le peuple de Dieu à travers le désert, demandons-nous que signifie être ministres de Dieu dans une histoire traversée par la guerre, la haine, la violence, la pauvreté. Comment exercer le ministère sur cette terre, sur les rives d’un fleuve baigné de tant de sang innocent, alors que les visages des personnes qui nous sont confiées sont striés par les larmes de la souffrance ? Voilà la question. Et quand je parle de ministère, je le fais dans un sens large : ministère presbytéral, ministère diaconal et ministère catéchétique, d’enseignement, qu’accomplissent tant de consacrés et de laïcs.

Pour tenter de répondre, je voudrais m’arrêter sur deux attitudes de Moïse : la docilité et l’intercession. Je pense que ces deux choses touchent notre vie ici.

La première chose qui nous frappe dans l’histoire de Moïse est sa docilité à l’initiative de Dieu. Nous ne devons cependant pas penser qu’il en a toujours été ainsi : au début, il avait la prétention de mener seul la tentative de lutter contre l’injustice et l’oppression. Sauvé par la fille du Pharaon des eaux du Nil, il se laisse toucher par la souffrance et l’humiliation de ses frères lorsqu’il découvre son identité, si bien qu’un jour il décide de se faire justice tout seul, en frappant à mort un égyptien qui maltraite un juif. Suite à cet épisode il doit fuir et rester dans le désert de nombreuses années. Il y fait l’expérience d’une sorte de désert intérieur : il avait pensé affronter l’injustice par ses seules forces, et maintenant, en conséquence, il se retrouve comme un fugitif devant se cacher, vivant dans la solitude, éprouvant le sentiment amer de l’échec. Je me demande : quelle a été l’erreur de Moïse ? Penser qu’il était le centre, ne comptant que sur ses propres forces. Mais il était ainsi devenu prisonnier des pires méthodes humaines, comme celle de répondre à la violence par la violence.

Quelque chose de semblable se produit parfois dans notre vie de prêtres, de diacres, de religieux, de séminaristes, de consacrés, dans notre vie à tous : au plus profond, nous pensons que nous sommes le centre, que nous pouvons compter, sinon en théorie du moins en pratique, presque exclusivement sur notre talent ; ou, en tant qu’Église, que nous trouvons la réponse aux souffrances et aux besoins du peuple dans des moyens humains, comme l’argent, la ruse, le pouvoir. Au contraire, notre œuvre vient de Dieu : Il est le Seigneur et nous sommes appelés à être des instruments dociles entre ses mains. Moïse l’apprend lorsqu’un jour, Dieu vient à sa rencontre, en lui apparaissant dans « la flamme d’un buisson en feu » (Ex 3, 2). Moïse se laisse attirer, il fait place à l’émerveillement, il se met dans une attitude de docilité pour se laisser éclairer par le charme de ce feu devant lequel il pense : « Je vais faire un détour pour voir cette chose extraordinaire : pourquoi le buisson ne se consume-t-il pas ? » (v. 3). Voilà la docilité nécessaire à notre ministère : s’approcher de Dieu avec émerveillement et humilité. Frères et sœurs, ne perdez pas l’émerveillement de la rencontre avec Dieu ! Ne perdez pas l’émerveillement du contact avec la Parole de Dieu. Moïse s’est laissé attirer et diriger par Dieu. La primauté n’est pas à nous, la primauté est à Dieu : nous confier à sa Parole avant d’utiliser nos propres mots, accueillir docilement son initiative avant de nous concentrer sur nos projets personnels et ecclésiaux.

Le fait de nous laisser docilement modeler nous fait vivre le ministère d’une manière renouvelée. Devant le Bon Pasteur, nous comprenons que nous ne sommes pas des chefs tribaux, mais des pasteurs compatissants et miséricordieux ; non pas les maîtres du peuple, mais des serviteurs s’abaissant pour laver les pieds des frères et sœurs ; nous ne sommes pas une organisation mondaine qui administre des biens terrestres, mais nous sommes la communauté des enfants de Dieu. Frères et sœurs, faisons donc comme Moïse sous le regard de Dieu : enlevons nos sandales avec un humble respect (cf. v. 5), dépouillons-nous de notre présomption humaine, laissons-nous attirer par le Seigneur et cultivons la rencontre avec Lui dans la prière ; approchons-nous chaque jour du mystère de Dieu, pour qu’il nous émerveille, pour qu’Il brûle les broussailles de notre orgueil et de nos ambitions démesurées et fasse de nous d’humbles compagnons de route de ceux qui nous sont confiés.

Purifié et illuminé par le feu divin, Moïse devient un instrument de salut pour les siens qui souffrent ; la docilité envers Dieu le rend capable d’intercéder pour ses frères. Voilà la deuxième attitude dont je voudrais vous parler aujourd’hui : l’intercession. Moïse a fait l’expérience d’un Dieu compatissant, qui ne reste pas indifférent au cri de son peuple et descend pour le délivrer. C’est magnifique : descendre. Dieu descend pour le libérer. Dieu, par condescendance envers nous, descend parmi nous au point de prendre notre chair en Jésus, de faire l’expérience de notre mort et de nos enfers. Il descend toujours pour nous relever et ceux qui le vivent sont amenés à l’imiter. C’est ainsi que fait Moïse, qui “descend” au milieu des siens : il le fera plusieurs fois au cours de la traversée du désert. En effet, dans les moments les plus importants et les plus difficiles, il monte et descend de la montagne de la présence de Dieu afin d’intercéder pour le peuple, c’est-à-dire de se mettre à l’intérieur de son histoire pour le rapprocher de Dieu. Frères et sœurs, intercéder, « ne signifie pas simplement “prier pour quelqu’un”, comme nous le pensons souvent. Étymologiquement, cela signifie “faire un pas au milieu”, faire un pas pour se mettre au milieu d’une situation » (C.M. Martini, Un grido di intercessione, Milan, 29 janvier 1991). Parfois, on n’obtient pas beaucoup, mais il faut le faire : un cri d’intercession. Intercéder, c’est donc descendre pour se mettre au milieu du peuple, pour “devenir des ponts” qui le relient à Dieu.

Il est demandé aux pasteurs de développer justement cet art de “marcher au milieu”. Ce doit être la spécialité des pasteurs, de marcher au milieu : au milieu de la souffrance, au milieu des larmes, au milieu de la faim de Dieu et de la soif d’amour des frères et sœurs. Notre premier devoir n’est pas d’être une Église parfaitement organisée – n’importe quelle entreprise peut le faire -, mais une Église qui, au nom du Christ, se tient au milieu de la vie souffrante du peuple et se salit les mains pour les gens. Nous ne devons jamais exercer le ministère en recherchant le prestige religieux et social, – que c’est laid de  » faire carrière  » -mais en marchant au milieu et ensemble, en apprenant à écouter et à dialoguer, en collaborant entre nous ministres et laïcs. Je voudrais ici répéter ce mot important : ensemble. Ne l’oublions pas : ensemble. Évêques et prêtres, prêtres et diacres, pasteurs et séminaristes, ministres ordonnés et religieux – toujours dans le respect de la merveilleuse spécificité de la vie religieuse : essayons de surmonter entre nous la tentation de l’individualisme, des intérêts partisans. Il est bien triste que des pasteurs ne soient pas capables de communion, ne réussissent pas à coopérer, voire s’ignorent mutuellement ! Cultivons le respect mutuel, la proximité, la coopération concrète. Si cela ne se produit pas entre nous, comment pouvons-nous le prêcher aux autres ?

Revenons à Moïse et, afin d’approfondir l’art de l’intercession, regardons ses mains. L’Écriture nous offre trois images à cet égard : Moïse avec le bâton à la main, Moïse avec les mains tendues, et Moïse avec les mains levées vers le ciel.

La première image, celle de Moïse avec le bâton à la main, nous montre qu’il intercède par la prophétie. Avec ce bâton, il accomplit des prodiges, des signes de la présence et de la puissance de Dieu au nom duquel il parle, dénonçant avec force le mal dont souffre le peuple et demandant au Pharaon de le laisser partir. Frères et sœurs, pour intercéder en faveur de notre peuple, nous sommes également appelés à élever la voix contre l’injustice et la prévarication, qui écrasent les gens et utilisent la violence pour gérer les affaires à l’ombre des conflits. Si nous voulons être des pasteurs qui intercèdent, nous ne pouvons pas rester neutres face à la douleur causée par les injustices et les violences, car là où une femme ou un homme est lésé dans ses droits fondamentaux, le Christ lui-même est offensé. J’ai été heureux d’entendre dans le témoignage du Père Luka que l’Eglise ne cesse d’exercer un ministère à la fois prophétique et pastoral. Merci ! Merci car, s’il y a une tentation dont nous devons nous prémunir, c’est bien celle de laisser les choses telles qu’elles sont et de ne pas nous intéresser aux situations par peur de perdre des privilèges et des commodités.

Deuxième image : Moïse avec les mains tendues. L’Écriture nous dit qu’il, « étendit les bras sur la mer » (Ex 14, 21). Ses mains tendues sont le signe que Dieu est sur le point d’agir. Ensuite, Moïse tiendra les tables de la Loi dans ses mains (cf. Ex 34, 29) pour les montrer au peuple Ses mains tendues indiquent la proximité de Dieu qui est à l’œuvre et qui accompagne son peuple. En effet, pour libérer du mal, la prophétie ne suffit pas, il faut tendre les bras à ses frères et sœurs, soutenir leur marche. Caresser le troupeau de Dieu. Nous pouvons imaginer Moïse montrant le chemin et saisissant les mains des siens pour les encourager à avancer. Après quarante ans, devenu vieux, il reste proche des siens : voilà la proximité. Et cela n’a pas été une tâche facile : il a souvent dû relancer un peuple découragé et fatigué, affamé et assoiffé, parfois même capricieux, qui s’abandonnait aux murmures et à la paresse. Et pour accomplir cette tâche, il a dû aussi lutter contre lui-même, car il a parfois connu des moments d’obscurité et de désolation, comme celui où il a dit au Seigneur : « Pourquoi traiter si mal ton serviteur ? Pourquoi n’ai-je pas trouvé grâce à tes yeux que tu m’aies imposé le fardeau de tout ce peuple ? […] Je ne puis, à moi seul, porter tout ce peuple : c’est trop lourd pour moi » (Nb 11, 11.14). Regardez la prière de Moïse : il est épuisé. Pourtant, Moïse n’a pas reculé : toujours proche de Dieu, il ne s’est jamais éloigné des siens. Nous aussi, nous avons ce devoir : tendre la main, relever nos frères, leur rappeler que Dieu est fidèle à ses promesses, les exhorter à avancer. Nos mains ont été “ointes de l’Esprit” non seulement pour les rites sacrés, mais pour encourager, aider, accompagner les personnes à sortir de ce qui les paralyse, les enferme, les rend craintives.

Enfin – troisième image – les mains levées vers le ciel. Lorsque le peuple tombe dans le péché et se fabrique un veau d’or, Moïse remonte sur la montagne – pensons à toute cette patience ! – et prononce une prière qui est une véritable lutte avec Dieu pour qu’il n’abandonne pas Israël. Il va jusqu’à dire : « Ce peuple a commis un grand péché : ils se sont fait des dieux en or. Ah, si tu voulais enlever leur péché ! Ou alors, efface-moi de ton livre, celui que tu as écrit. » (Ex 32, 31-32). Il se range du côté du peuple jusqu’au bout, élève la main en sa faveur. Il ne pense pas à se sauver seul, il ne vend pas le peuple pour ses propres intérêts ! Il intercède. Moïse intercède, Moïse lutte avec Dieu ; il garde les bras levés en prière pendant que ses frères se battent dans la vallée (cf. Ex 17, 8-16). Soutenir les luttes du peuple par la prière devant Dieu, implorer le pardon, administrer la réconciliation en tant que canaux de la miséricorde de Dieu qui pardonne les péchés : tel est notre devoir d’intercesseurs !

Bien-aimés, ces mains prophétiques tendues et levées requièrent un effort, cela n’est pas facile. Être prophète, accompagnateur, intercesseur, montrer par sa vie le mystère de la proximité de Dieu avec son peuple peut même coûter la vie. Beaucoup de prêtres, de religieuses et de religieux – comme Sœur Regina nous l’a dit à propos de ses sœurs – ont été victimes de violences et d’attaques dans lesquelles ils ont perdu la vie. En réalité, ils ont offert leur existence pour la cause de l’Évangile, et leur proximité avec leurs frères et sœurs est un merveilleux témoignage qu’ils nous laissent et qui nous invite à poursuivre leur chemin. Nous pouvons rappeler Saint Daniel Comboni qui, avec ses frères missionnaires, a réalisé une grande œuvre d’évangélisation sur ces terres : il disait que le missionnaire doit être prêt à tout pour le Christ et l’Évangile, et qu’il faut des âmes audacieuses et généreuses qui sachent souffrir et mourir pour l’Afrique.

Je tiens donc à vous remercier pour ce que vous faites au milieu de tant d’épreuves et d’efforts. Merci, au nom de toute l’Église, pour votre dévouement, votre courage, vos sacrifices, votre patience. Merci ! Je vous souhaite, chers frères et sœurs, d’être toujours des pasteurs et des témoins généreux, armés seulement de la prière et de la charité ; pasteurs témoins, qui se laissent docilement surprendre par la grâce de Dieu et deviennent des instruments de salut pour les autres ; pasteurs et prophètes de proximité qui accompagnent le peuple, des intercesseurs aux bras levés. Que la Sainte Vierge vous protège. En ce moment, pensons en silence à nos frères et sœurs qui ont donné leur vie dans ce ministère pastoral ici, et remercions le Seigneur de nous avoir été proches. Nous remercions le Seigneur pour leur proximité martyriale. Prions en silence.

Merci pour votre témoignage. Et si vous avez un peu de temps, priez pour moi. Merci.

 

RENCONTRE AVEC LES PERSONNES DÉPLACÉES

Freedom Hall (Djouba)

Chers frères et sœurs, bon après-midi!

Je vous remercie pour vos prières, pour vos témoignages et pour votre chant ! J’ai longtemps pensé à vous, portant dans mon cœur le désir de vous rencontrer, de vous regarder dans les yeux, de vous serrer les mains et de vous étreindre. Je suis enfin ici, avec les frères avec lesquels je partage ce pèlerinage de paix, pour vous dire toute ma proximité, toute mon affection. Je suis avec vous, je souffre pour vous et avec vous.

Joseph, tu as posé une question décisive : « Pourquoi sommes-nous là à souffrir dans ce camp de personnes déplacés ? ». Pourquoi… Pourquoi tant d’enfants et de jeunes comme toi sont-ils là, au lieu d’aller à l’école pour étudier ou dans un bel endroit extérieur pour jouer ? Tu as toi -même donné la réponse en disant que c’est « à cause des conflits en cours dans le pays ». C’est à cause des dévastations produites par la violence humaine, s’ajoutant à celles causées par les inondations, que des millions de nos frères et sœurs comme vous, dont de nombreuses mères avec leurs enfants, ont dû quitter leurs terres et abandonner leurs villages, leurs maisons. Malheureusement, dans ce pays martyrisé, être déplacé ou réfugié est devenu une expérience habituelle et collective.

Je renouvelle donc de toutes mes forces l’appel le plus pressant à mettre fin à tout conflit, à reprendre sérieusement le processus de paix afin que les violences prennent fin et que les gens puissent retrouver une vie digne. Ce n’est qu’avec la paix, la stabilité et la justice que développement et réintégration sociale pourront avoir lieu. Mais on ne peut plus attendre ! Un grand nombre d’enfants nés ces dernières années n’ont connu que la réalité des camps de personnes déplacées, oubliant l’air du pays, perdant le lien avec leur terre d’origine, leurs racines, leurs traditions.

L’avenir ne peut être dans les camps de personnes déplacées. Il est nécessaire, comme tu l’as demandé, Johnson, que tous les enfants comme toi aient la possibilité d’aller à l’école et aussi de l’espace pour jouer au football ! Il est nécessaire d’évoluer en tant que société ouverte, de se mélanger, de former un seul peuple à travers les défis de l’intégration, y compris en apprenant les langues parlées dans tout le pays, et pas seulement dans sa propre ethnie. Il est nécessaire de prendre le risque formidable de connaître et d’accueillir ceux qui sont différents, pour retrouver la beauté d’une fraternité réconciliée et pour faire l’expérience de l’aventure inestimable qui consiste à construire librement son avenir avec celui de toute la communauté. Et il est absolument nécessaire d’éviter la marginalisation des groupes et la ghettoïsation des êtres humains. Mais pour répondre à toutes ces attentes, il faut la paix. Et il faut l’aide de beaucoup, l’aide de tout le monde.

C’est pourquoi je voudrais remercier la Vice-Représentante spéciale, Sara Beysolow Nyanti, de nous avoir dit que c’est aujourd’hui une occasion pour chacun de voir ce qui se passe depuis des années dans ce pays. Ici, en effet, la plus grande crise de réfugiés du continent perdure, avec au moins quatre millions de fils de cette terre déplacés, avec l’insécurité alimentaire et la malnutrition qui touchent les deux tiers de la population, et des prévisions parlant d’une tragédie humanitaire qui pourrait encore s’aggraver en cours d’année. Mais je tiens surtout à vous remercier parce que vous, et beaucoup d’autres personnes, n’êtes pas restés sans rien faire à étudier la situation, mais vous avez agi. Vous, Madame, vous avez parcouru le pays, regardé dans les yeux les mères assistant à la douleur qu’elles ressentent devant la situation de leurs enfants. Vos paroles m’ont touché lorsque vous avez dit que, malgré tout ce dont elles souffrent, le sourire et l’espérance ne se sont jamais éteints de leurs visages.

Et je suis d’accord avec ce que vous avez dit à leur sujet : les mères, les femmes sont la clé pour transformer le pays : si on leur donne de bonnes opportunités, par leur assiduité et leur attitude d’aimer la vie, elles auront la capacité de changer le visage du Soudan du Sud, de lui donner un développement serein et cohérent ! Mais, s’il vous plaît, je supplie tous les habitants de ces terres : que la femme soit protégée, respectée, valorisée et honorée. S’il vous plaît : protéger, respecter, valoriser et honorer toute femme, enfant, fille, jeune personne, adulte, mère, grand-mère. Autrement, il n’y aura pas d’avenir.

Et maintenant, frères et sœurs, je vous regarde à nouveau ; vos yeux fatigués mais lumineux qui n’ont pas perdu l’espérance, vos lèvres qui n’ont pas perdu la force de prier et de chanter. Je vous vois, vous qui avez les mains vides mais le cœur plein de foi, vous qui portez intérieurement un passé marqué par la souffrance mais qui ne cessez pas de rêver d’un avenir meilleur. Nous voudrions, nous qui vous rencontrons aujourd’hui, donner des ailes à votre espérance. Nous y croyons, nous croyons que maintenant, même dans les camps de personnes déplacées – où la situation du pays vous oblige malheureusement à rester – peut germer, comme d’une terre dépouillée, la semence nouvelle qui portera du fruit.

Je voudrais vous dire : la graine d’un nouveau Soudan du Sud c’est vous ; la graine pour une croissance fertile et luxuriante du pays ; c’est vous, provenant de toute les ethnies différentes, vous qui avez souffert et qui souffrez encore, mais qui ne voulez pas répondre au mal par un autre mal ; vous qui, à partir de maintenant, faites le choix de la fraternité et du pardon, cultivez un avenir meilleur. Un demain qui naît aujourd’hui, là où vous êtes, de la capacité à collaborer, à tisser des réseaux de communion et des parcours de réconciliation avec ceux qui, différents de vous par leur ethnie et leur origine, vivent à côté de vous. Frères et sœurs, soyez des semences d’espérance, dans lesquelles on peut déjà entrevoir l’arbre qui, un jour – que nous espérons proche – portera des fruits. Oui, vous serez les arbres qui absorberont la pollution d’années de violences et qui restitueront l’oxygène de la fraternité. Certes, vous êtes maintenant « plantés » là où vous ne voudriez pas, mais c’est précisément dans cette situation d’épreuve et de précarité que vous pouvez tendre la main à ceux qui vous entourent et faire l’expérience que vous êtes enracinés dans la même humanité : c’est de là qu’il faut repartir pour vous redécouvrir frères et sœurs, enfants sur terre du Dieu du ciel, Père de tous.

Chers amis, ce sont les racines qui nous rappellent qu’une plante naît d’une semence. Il est beau que les gens, ici, tiennent beaucoup à leurs racines. J’ai lu que sur ces terres, « les racines ne doivent jamais être oubliées », car « les ancêtres nous rappellent qui nous sommes et quel doit être notre chemin… Sans eux, nous sommes perdus, effrayés et sans boussole. Il n’y a pas d’avenir sans passé » (C. Carlassare, La capanna di Padre Carlo. Comboniano tra i Nuer, 2020, 65). Au Soudan du Sud, les jeunes grandissent en s’inspirant des histoires des anciens, et si le récit de ces années a été caractérisé par la violence, il est possible, voire nécessaire, d’en commencer un nouveau, en partant de vous : un nouveau récit de la rencontre, où ce qui a été enduré n’est pas oublié, mais habité par la lumière de la fraternité ; un récit qui se concentre non seulement sur le caractère tragique de l’actualité, mais aussi sur le désir ardent de paix. Vous, les jeunes d’ethnies différentes, soyez les premières pages de ce récit ! Si les conflits, les violences et les haines ont arraché les premières pages des bons souvenirs de la vie de cette République, c’est à vous d’en écrire l’histoire de paix ! Je vous remercie pour votre force d’âme et pour tout le bien que vous faites qui plait tant à Dieu et rend précieuse chaque journée que vous vivez.

Je voudrais également adresser un mot de gratitude à tous ceux qui vous aident, souvent dans des conditions non seulement difficiles, mais d’urgence. Merci aux communautés ecclésiales pour leurs œuvres qui méritent d’être soutenues ; merci aux missionnaires, aux organisations humanitaires et internationales, notamment les Nations unies, pour le grand travail qu’ils accomplissent. Bien sûr, un pays ne doit pas vivre que d’aides extérieures, surtout lorsque son territoire est si riche en ressources! Mais actuellement elles sont extrêmement nécessaires. Je voudrais également rendre hommage aux nombreux travailleurs humanitaires qui ont perdu la vie, et appeler au respect de ceux qui aident et des structures de soutien à la population, qui ne peuvent devenir des cibles d’agression et de vandalisme. Parallèlement aux aides d’urgence, je crois qu’il est très important, dans une perspective d’avenir, d’accompagner la population sur la voie du développement, par exemple en l’aidant à apprendre les techniques modernes d’agriculture et d’élevage, afin de favoriser une croissance plus autonome. Je demande à tous, du fond du cœur : aidons le Soudan du Sud, ne laissons pas seule sa population qui a souffert et qui souffre tant !

En conclusion, je voudrais adresser une pensée aux nombreux réfugiés sud-soudanais qui se trouvent hors du pays et à ceux qui ne peuvent pas rentrer parce que leur territoire a été occupé. Je suis proche d’eux et j’espère qu’ils pourront redevenir les protagonistes de l’avenir de leur terre, en contribuant à son développement de manière constructive et pacifique. Nyakuor Rebecca, tu m’as demandé une bénédiction spéciale pour les enfants du Soudan du Sud afin que vous puissiez tous grandir ensemble dans la paix. Nous allons donner la bénédiction à trois comme des frères : avec mon frère Justin et mon frère Iain, ensemble nous allons vous donner la bénédiction. Que par elle, la bénédiction de beaucoup de frères et sœurs chrétiens dans le monde entier vous parvienne, eux qui vous embrassent et vous encouragent, sachant qu’en vous, dans votre foi, dans votre force intérieure, dans vos rêves de paix, brille toute la beauté de l’être humain.

 

PRIÈRE ŒCUMÉNIQUE

Mausolée John Garang (Djouba)

Monsieur le Président de la République,
Autorités religieuses et civiles distinguées,
Chers frères et sœurs !

Des prières nombreuses viennent de s’élever vers le Ciel de cette terre aimée et meurtrie: des voix différentes se sont unies, formant une seule voix. Ensemble, comme Peuple saint de Dieu, nous avons prié pour ce peuple blessé. En tant que chrétiens, prier est la première et plus importante chose que nous sommes appelés à faire pour pouvoir bien agir et avoir la force de marcher. Prier, agir et marcher : réfléchissons sur ces trois verbes.

Tout d’abord, prier. Le grand engagement des communautés chrétiennes pour la promotion humaine, pour la solidarité et pour la paix serait vain sans la prière. En effet, nous ne pouvons pas promouvoir la paix sans avoir d’abord invoqué Jésus, « Prince-de-la-Paix » (Is 9, 5). Ce que nous faisons pour les autres et partageons avec les autres est avant tout un don gratuit que, les mains vides, nous recevons de Lui : c’est une grâce, une pure grâce. Nous sommes chrétiens parce que nous sommes aimés gratuitement par le Christ.

Ce matin, je me suis inspiré de la figure de Moïse et maintenant, précisément en relation avec la prière, je voudrais évoquer un épisode qui a été décisif pour lui et pour son peuple, survenu alors qu’il venait à peine de commencer de l’accompagner sur le chemin vers la liberté. Arrivés près des rives de la mer Rouge, une scène dramatique se présente à ses yeux et à ceux de tous les Israélites : devant eux se dresse la barrière infranchissable des eaux ; derrière, arrive l’armée ennemie, avec des chars et des chevaux. Cela ne rappelle-t-il pas les premiers pas de ce pays, assailli tant par les eaux de la mort, comme celles des inondations désastreuses qui l’ont frappé, que par une violence belliqueuse effroyable ? Eh bien, dans cette situation désespérée, Moïse dit au peuple : « N’ayez pas peur ! Tenez bon ! Vous allez voir aujourd’hui ce que le Seigneur va faire pour vous sauver ! » (Ex 14, 13). Alors, je me demande : d’où venait à Moïse une telle certitude, alors que son peuple continuait à se plaindre effrayé ? Cette force lui venait de l’écoute du Seigneur (cf. 2-4) qui lui avait promis de manifester sa gloire. L’union avec Lui, la confiance en Lui cultivée dans la prière, est le secret par lequel Moïse a pu accompagner le peuple de l’oppression à la liberté.

Il en est de même pour nous aussi : prier donne la force d’avancer, de surmonter les peurs, d’entrevoir, même dans les ténèbres, le salut que Dieu prépare. De plus, la prière attire le salut de Dieu sur le peuple. La prière d’intercession, qui a caractérisé la vie de Moïse (cf. Ex 32, 11-14), est celle à laquelle nous sommes tenus, nous surtout, Pasteurs du Peuple saint de Dieu. Pour que le Seigneur de la paix intervienne là où les hommes ne parviennent pas à la construire, il faut la prière : une prière tenace, d’intercession constante. Frères et sœurs, en cela, soutenons-nous: dans nos diverses Confessions religieuses, sentons-nous unis entre nous, comme une seule famille ; et sentons-nous chargés de prier pour tous. Dans nos paroisses, églises, assemblées de culte et de louange, prions assidûment et unanimement (cf. Ac 1, 14) pour que le Soudan du Sud “rejoigne la terre promise”, comme le peuple de Dieu dans les Écritures. Qu’il dispose sereinement et équitablement de la terre fertile et riche qu’il possède, et qu’il soit comblé de cette paix promise mais, malheureusement, pas encore advenue.

Nous sommes précisément appelés, en second lieu, à agir pour la cause de la paix. Car Jésus nous veut « artisans de paix » (Mt 5, 9), il veut que son Église ne soit pas seulement signe et instrument de l’union intime avec Dieu, mais aussi de l’unité de tout le genre humain (cf. Lumen gentium, n. 1). Le Christ, en effet, comme le rappelle l’Apôtre Paul, « est notre paix » précisément dans le sens du rétablissement de l’unité. Il est celui qui “des deux, fait une seule réalité, en détruisant les murs de séparation, la haine” (cf. Ep 2, 14). Voilà la paix de Dieu : non seulement une trêve entre les conflits, mais une communion fraternelle, qui vient de l’union, non de l’absorption ; du pardon, non de la domination ; de la réconciliation, non de l’imposition. Le désir de paix du Ciel est si grand qu’il a été annoncé dès la naissance du Christ : « paix sur la terre aux hommes, qu’Il aime » (Lc 2, 14). Et l’angoisse de Jésus provoquée par le refus de ce don qu’il venait apporter est si grande, qu’Il pleura sur Jérusalem, en disant : « Si toi aussi, tu avais reconnu en ce jour ce qui donne la paix ! » (Lc 19, 42).

Chers frères et sœurs, œuvrons sans nous lasser pour cette paix que l’Esprit de Jésus et du Père nous invite à construire : une paix qui intègre les diversités, qui promeut l’unité dans la pluralité. Voilà la paix de l’Esprit Saint qui harmonise les différences, tandis que l’esprit ennemi de Dieu et de l’homme s’appuie sur les différences pour diviser. À cet égard, l’Écriture dit : « Voici comment se manifestent les enfants de Dieu et les enfants du diable : quiconque ne pratique pas la justice n’est pas de Dieu, et pas davantage celui qui n’aime pas son frère » (1 Jn 3, 10). Chers amis, celui qui se dit chrétien doit choisir son camp. Celui qui suit le Christ choisit la paix, toujours ; celui qui déclenche la guerre et la violence trahit le Seigneur et renie son Évangile. Le style que Jésus nous enseigne est clair : aimer tout le monde, car tous sont aimés comme des enfants par le Père commun qui est aux cieux. L’amour du chrétien n’est pas seulement pour les proches, mais pour chacun, car chacun est notre prochain en Jésus, un frère, une sœur, même l’ennemi (cf. Mt 5, 38-48) ; et à plus forte raison ceux qui appartiennent à notre même peuple, même s’ils sont d’ethnies différentes. « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 15, 12) ; tel est le commandement de Jésus qui contredit toute vision tribale de la religion. « Que tous soient un » (Jn 17, 21) : telle est la prière pressante de Jésus au Père pour nous tous croyants.

Travaillons, frères et sœurs, pour cette unité fraternelle entre nous chrétiens et aidons-nous à faire passer le message de la paix dans la société, à répandre le style de non-violence de Jésus, afin qu’il n’y ait plus de place pour une culture fondée sur l’esprit de vengeance chez ceux qui se professent croyants; afin que l’Évangile ne soit pas seulement un beau discours religieux, mais une prophétie qui devienne réalité dans l’histoire. Travaillons à cela : travaillons pour la paix en tissant et en recousant, jamais en coupant ou en déchirant. Suivons Jésus et, derrière Lui, faisons des pas communs sur le chemin de la paix (cf. Lc 1, 79).

Voici alors le troisième verbe : après prier et agir, marcher. Ici, au cours des décennies, les communautés chrétiennes se sont fortement engagées dans la promotion de chemins de réconciliation. Je voudrais vous remercier pour ce témoignage lumineux de foi, né de la reconnaissance, non seulement en paroles mais dans les faits, qu’avant les divisions historiques existe une réalité immuable : nous sommes chrétiens, nous sommes du Christ. Il est beau que, au milieu de tant de conflits, l’appartenance chrétienne n’a jamais détruit la population, mais a été, et est encore, facteur d’unité. L’héritage œcuménique du Soudan du Sud est un trésor précieux, une louange au nom de Jésus, un acte d’amour à l’Église son épouse, un exemple universel pour le chemin d’unité des chrétiens. C’est un héritage qui doit être conservé dans le même esprit : les divisions ecclésiales des siècles passés ne doivent pas se répercuter pas sur ceux qui sont évangélisés, mais la semence de l’Évangile doit contribuer à répandre une plus grande unité. Que le tribalisme et le sectarisme qui alimentent les violences dans le pays n’affectent pas les relations interconfessionnelles ; au contraire, que le témoignage d’unité des croyants se reverse sur le peuple.

En ce sens, pour finir, je voudrais suggérer deux mots-clés pour la suite de notre cheminement : mémoire et engagement. Mémoire : les pas que vous faites suivent les traces de vos prédécesseurs. N’ayez pas peur de ne pas en être à la hauteur, sentez-vous au contraire poussés par ceux qui vous ont préparé la route. Comme dans un relais, prenez le témoin pour hâter la réalisation de l’objectif d’une communion pleine et visible. Et ensuite engagement : on marche vers l’unité quand l’amour est concret, quand on secourt ensemble ceux qui sont en marge, ceux qui sont blessés et rejetés. Vous le faites déjà dans de nombreux domaines, je pense en particulier à la santé, à l’instruction, à la charité : que d’aides urgentes et indispensables vous apportez à la population ! Merci pour tout cela. Continuez ainsi : jamais concurrents, mais proches ; frères et sœurs qui, par leur compassion pour les souffrants, les préférés de Jésus, rendent gloire à Dieu et témoignent de la communion qu’Il aime.

Très chers amis, mes frères et moi nous sommes venus en pèlerins parmi vous, Peuple saint de Dieu en marche. Même si nous sommes loin physiquement, nous serons toujours proches de vous. Repartons chaque jour de la prière les uns pour les autres et avec les autres, en œuvrant ensemble comme témoins et médiateurs de la paix de Jésus, en marchant sur la même route, en faisant des pas concrets de charité et d’unité. En tout, aimons-nous intensément, et de tout cœur (cf. 1 P 1, 22).

 

Source : vatican.va
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